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Le Phénix:" Physio-anatomie d'un mythe"

Première édition française de la première version latine de L'Enquête d'Hérodote XVIe siècle ( Photo Camille Sourget Librairie)
Première édition française de la première version latine de L'Enquête d'Hérodote XVIe siècle ( Photo Camille Sourget Librairie)

Tous les auteurs s’accordent à dire que le Phénix est unique et d’une beauté incomparable.

 

 Hérodote (Histoires, II,72) le décrit sans l’avoir vu tant il est rare , il lui consacre un article dans son énumération des animaux sacrés :

 

« S’il est tel qu’ on le peint , voici quelles seraient sa grandeur et son apparence : les plumes de ses ailes sont les unes couleurs d’or, les autres d’un rouge vif ; pour la silhouette et la taille, il ressemble de très près à un aigle. »

 

Au VIIe siècle Isidore de Séville dans ses Etymologies établit un lien entre son nom et sa somptueuse couleur pourpre. C’est en effet à Tyr en Phénicie (actuel Liban) qu’ est fabriqué le précieux pigment communément appelé Pourpre Impériale ou Pourpre Royale.

(On trouve de très anciennes traces d’utilisation de pourpre royale chez les Minoens de Crète dès le 2e millénaire av. JC)

Il ajoute  « Les arabes nomment phénix ce qui est unique » proposant ainsi une seconde origine au nom de l’oiseau de feu.

 

Les très nombreuses traductions du Physiologus comportent toutes une note sur le phénix mais toutes n’en donnent pas une description. Rappelons que notre conception moderne d’oiseau fabuleux est inexistante au Moyen Age .Ce qui importe c’ est la réalité spirituelle dont il est porteur et l’on ne s’étonnera pas de trouver dans les manuscrits une majorité de récits de sa métamorphose plutôt que de pures descriptions.

Françoise Lecocq1 cite un extrait du Physiologus de Vienne :

 

Phénix, parce qu’il fait la nuit claire par l’intermédiaire des coqs. Comment sépare-t-il (la nuit du jour) et comment indique-t-il le lever du soleil ? On dit qu’il a les plumes de tous les oiseaux et qu’il est très bigarré et de haute taille, aussi grand que l’îlot appelé Phoinikôn, comme le dit le grand Athanase. Sa tête est ornée de rayons ; ses plumes, qui sont arrondies, sont au nombre de 365. Il est magnifique et beau à voir. C’est sa mandibule supérieure qui se meut et non celle d’en dessous : il ne soulève que la partie supérieure de son bec. Il a les pieds faits d’un seul morceau de chair et membranés comme ceux des oies et des canards […]Traduction de Hubaux, Leroy, Le mythe du phénix, 1939 

 

L' îlot dont il est question n’a pu être identifié mais le gigantisme qu’il sert, ainsi que le nombre 365, donnent la clef de l’énigme ; l’oiseau décrit dans le manuscrit est un emprunt aux religions orientales où un oiseau géant , l’Héliodrome ou coursier du soleil , accompagne la course du jour.

Quant aux références à la mandibule et aux pieds palmés elles évoquent davantage la description d’autres animaux du bestiaire.

Françoise Lecocq parle ici de « contamination par voisinage avec un autre animal »

 

 

De Mirabilibus Mondi de Solin Manuscrit daté de 1408 Paris (Photo IRHT)
De Mirabilibus Mondi de Solin Manuscrit daté de 1408 Paris (Photo IRHT)

Solin , grammairien et compilateur romain du IIIe ap.JC le décrit ainsi dans De mirabilibus mundi appelé également Polyhistor :

 

« Là aussi naît le phénix, qui a la grandeur de l’aigle, la tête ornée de plumes formant un cône , des caroncules(petites excroissances) à la gorge, le cou rayonnant d’or , le reste du corps de couleur pourpre, si ce n’est la queue, qui est d’azur éclatant et semée de plumes incarnat »

 

Claudien(IVe apJC) poète alexandrin devenu poète officiel de l’empereur romain Honorius réécrit un poème de Lactance ,De aue phoenice ,en éliminant les connotations chrétiennes . « Son » Phénix s’en trouve humanisé,plus proche du guerrier que de l’oiseau mythique

« Ses yeux rayonnent d’un mystérieux éclat, sa tête est couronnée d’une auréole de feu, il emprunte à l’astre son père le feu qui flamboie sur son aigrette, et sa lumière sereine éclaire les ténèbres ; ses pattes sont teintes de la pourpre syrienne ; ses ailes, plus légères que les zéphyrs, resplendissent dun cercle dazur et sont richement parsemées de points d'or."

Brunetto Latini Livre du Trésor (1315-1325) British Library
Brunetto Latini Livre du Trésor (1315-1325) British Library

Plus près de nous Brunetto Latini2 ,ami de Dante, philosophe et chancelier de la république florentine au XIIIe en donne la description suivante dans Le Livre du Trésor

 

«  Le Phénix est un oiseau d’Arabie tel qu’il n’y en a plus qu’un seul dans le monde entier et il est bien grand comme un aigle , mais il a une crête de chaque côté de la mâchoire et les plumes tout autour de son cou sont reluisantes comme de l’or fin d’Arabie. Mais de là jusqu’à sa queue son corps est de couleur pourpre et la queue est rose, selon le témoignage des Arabes qui l’ont vu tant de fois »

Fragment de Mosaïque Ve ap.JC Musée du Louvre
Fragment de Mosaïque Ve ap.JC Musée du Louvre

A créature d’exception , mets d’exception …

 

Le phénix se sustente de peu …Créature sans besoins , détachée de tout ce qui pourrait être impur il n’use que de ce qui est divin

 

Antoine Métral3, reprenant les auteurs antiques, évoque également de « la douce haleine du Zéphyr, des « sucs des parfums suaves ou encore des « Rayons de l’astre de lumière « qui lui suffisent à se repaître…. Cela n’est pas sans rappeler le modèle idéal de la société égyptienne pharaonique rejetant comme immonde toute alimentation nuisant à la santé ou à la beauté du corps.

 

Lactance ,rhéteur né en Afrique romaine au IIIe ap.JC , offre au phénix la nourriture des Dieux homériques : le nectar (mélange de vin et de miel ?) et l’ambroisie ( substance à base de miel , miel sauvage ?) :

 

« Les fruits de notre monde lui sont interdits; 

Petit, nul n'est commis au soin de le nourrir. 

Il goûte la fine rosée d’ambroisie et le nectar céleste

Tombés du ciel étoilé. 

Tels sont les mets parfumés dont l’oiseau se sustente, 

En attendant son entière croissance. »

En attendant son entière croissance. »

 

Dante expliquant la Divine Comédie 1465 Domenico Di Michelino
Dante expliquant la Divine Comédie 1465 Domenico Di Michelino

Dante (l’Enfer XXIV) y ajoute l’amomum, qui fournit la cardamome, et les larmes d’encens, une résine en grains récoltés sur le boswellia , un arbre sacré que l’on ne trouve qu’en Arabie, en Inde et en Afrique.

 

«  Pendant sa vie l’herbe ni le froment ne composent sa nourriture mais l’amomum et les pleurs d’encens »

 

Comme on le voit les parfums ont une place de choix dans les menus de l’oiseau de feu tout comme ils en ont une lors de sa métamorphose à laquelle vous assisterez prochainement...

 

 

 Sources et liens :

 1  https://uurl.kbr.be/1558122   Étymologies d’Isidore de Séville , manuscrit du VIIIe . Bibliothèque Royale de Belgique.

2 journals.openedition.org/rursuspicae/818

   3 https://www.lexilogos.com/latini_tresor.htm  blog entièrement consacré à Brunetto Latini

4 Le Phénix ou l’oiseau de feu Antoine Métral 1824